Episode IV - Purple Pain
J’avais décidé à l’âge où l’on prend conscience de ces choses là de vivre sans dieu ni maitre. En tous cas c’est ainsi que je me l’imaginais du haut de ma jeunesse arrogante. Sans dieu ni maitre ? Vers l’âge de douze ans Prince est entré dans ma vie par la petite lucarne et une grande émission : « Sex Machine ».
Générique Sex Machine
Il n’en est plus jamais ressorti. Je n’ai jamais cru en Dieu. Je croyais en Prince. Je ne suis pas certain que ce chanteur qui a consacré une partie de sa vie et de sa musique à Dieu aurait cautionné mon choix. Mais ce n’était pas un choix. Plutôt une évidence. Prince s’est imposé à moi. A l’heure où mes potes ne juraient que par Barry White ou Michael Jackson, Prince disait au gamin des cités que j’étais qu’il fallait assumer sa différence. Je pouvais être « Black », « White », « Straight », « Gay », « Nasty », « Sexy », « Holly »… Mais il fallait assumer ses choix, se battre pour son art, et ne jamais se renier.
Mon père était un cinéphile d’avant gardes ! Le genre qui va dénicher l’essentiel dans un film d’une heure trente. Le type capable de refaire le montage avec la télécommande. Ainsi, une fois qu’il avait coupés les scènes de nues, les baisers torrides, les filles qui se déshabillent… On avait notre film… De quarante minutes ! Alors quand mon père sortait, je regardais des concerts de Prince, comme d’autres regardent des films X ! Car même s’il n’était pas bilingue, pour mon père, l’attitude, les postures et la liberté de Prince sur scène et dans certains clips étaient clairement trop « Sexuellement explicite » comme on avait inventé le terme pour l’une de ses chansons dans les années 80.
Ce 1er septembre 1993, je suis donc à Bercy sans l’excitation habituelle. Le public hurle son plaisir toujours intact de voir Prince. Je connais ce bonheur. Je le connaîtrais de nouveau… Jusqu’à ce petit matin parisien. Oh New Morning ! Mais ce soir je voudrais supplier Prince de ne pas chanter « Purple Rain »…Trop tard. Je pleure déjà. Dans un noir complet quelques flammes de briquet oscillent lentement. Les premières notes de « Purple Rain » se font entendre et la foule chavire : « This is my song Paris… ». Ce soir mon père va mourir. Ici, pendant cette chanson, je le sens.
24 Avril 2016. Trois jours après la mort de Prince. Je suis en voiture avec ma mère. Elle sait que ces derniers jours ont été douloureux pour moi. Elle me demande quand aura lieu son enterrement. Je lui explique alors que Prince s’est fait incinérer la veille en présence de quelques proches. Au bout d’un court silence elle ose me demander : « ça veut dire quoi inci… truc là? » Je lui dis qu’on l’a brulé. Elle ouvre de grands yeux et lâche « Ton chanteur il aura connu l’enfer avant d’aller en enfer !»