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Dieu Se Moque De Moi

24 avril 2017

Episode X - Des hommes libres !

Une histoire est-elle terminée pour autant lorsqu'elle est enterrée ?

Mon père est enterré. Retour en France.

Mon voisin de palier est juif. Je le déteste. Mais comme je l'ai déjà expliqué je ne vois pourtant pas de différence entre lui et moi. Lui par exemple je n'ai jamais vu sa quéquette ! Faut dire que cela ne m'aurait pas avancé, bien au contraire, cela aurait pu ajouter à ma confusion ! Enfant je ne savais donc pas qu'il était Juif. Nous étions voisin, mais aussi camarade de classe et je croyais même copain... Pourtant ce gamin passait son temps à me frapper. J'ai donc fini logiquement par le détester. Pas parce qu'il était Juif. Non juste parce qu'il était con.

Curb Your Enthusiasm - 2000

Ses parents, comme d'autres voisins, ont été très affectés par la mort de mon père. Ils s'aimaient bien. En Tunisie, mon père a acheté un cadeau, un cendrier fait main, assez laid. Ma mission est donc de l'offrir à un ami, un couturier que mon père aimait beaucoup. Juif lui aussi. Je dois par la même occasion lui annoncer la mort de son ami. Je me rends dans sa boutique. Je lui offre le cadeau, qu'il ne déballe pas, et il me demande pourquoi mon père ne l'a pas apporté lui-même ? La nouvelle est un choc et son émotion me bouleverse tant elle est sincère. Il me laisse planté là pour partir pleurer dans son arrière-boutique.

Pourquoi donc insister sur ces voisins et amis juifs ? Car aujourd'hui ces anecdotes portent en elles une espèce d'émotion surannée qui m'attriste. Existe-t-il encore dans notre belle République des quartiers où Juifs français et Musulmans français sont amis comme mon père l'était avec cet homme, avec ses voisins, et bien d'autres ?  Y'a t-il juste des voisins de palier Juifs et Musulmans dans les quartiers populaires de nos grandes banlieues ? Peut-être. Je l'espère. Cela devrait être naturel. Nous ne sommes pas voués à nous haïr.

Le 13 novembre 2015 j'étais à Montréal lorsque ma vieille ville a saigné. Plus précisément je me trouvais dans une synagogue en compagnie d'un juif-marocain. Je rencontrais cet homme dans le cadre d'un projet de cinéma, mais qu'importe. J'étais dans cette synagogue, sans imaginer ce qui se déroulait à des milliers de kilomètres de là. Je lui racontais ma tristesse qu'il n'y ait plus de lien entre les communautés (notamment juive et musulmane, mais pas seulement) en France comme je l'avais vécu enfant. Je lui parlais de mon père, de nos voisins, de mon souvenir lors de ma visite à cet ami couturier... Je parlais de tout cela comme d'un monde enfoui. D'une époque révolue.

Nous sommes sortis de la synagogue et dans sa voiture nous avons appris la nouvelle. J'ai fondu en larmes. La fin de l'innocence était bel et bien là. Elle avait très violement débuté le 7 janvier 2015.

PARIS

Il y a plus de vingt ans... Un mercredi comme ce terrible 7 janvier, jeune réalisateur idéaliste que j'étais, j'allais mes poings dans mes poches trouées, et des rêves fous plein la tête, dans les locaux de Charlie Hebdo. Je venais présenter mon premier court métrage à toute la bande ! Ils allaient être les premiers à le voir. C'était un petit film auto-produit sur Khaled Kelkal... Un jeune terroriste islamiste. Quelle terrible ironie. À Charlie ils sonnaient l'alarme quand tout le monde préférait montrer du doigt les musulmans. Philippe Val, alors rédacteur en chef avait écrit « A quoi rêve un type qui n'est rien, qui n'espère rien, et qui, considéré depuis son enfance comme un sous-français, ne trouve aucune justification aux limites des droits et des devoirs que pose le statut de citoyen ? » Je reprenais ses mots à la fin de mon film. Ces mots qui aujourd'hui me glacent le sang. J'étais si heureux d'être là. J'avais appris l'irrévérence avec ces messieurs. J'avais fréquenté les salles de concert pour applaudir les chansonniers qu'avaient été un temps « Font et Val ». J'aimais lire Cavanna et signer sans relâche les pétitions du journal demandant la dissolution du f-Haine. Oui j'étais un sale enfant de Charlie. J'ai donc montré mon film. Ils étaient tous là. Ou presque...

Mon film n'était pas franchement bon. Mais qu'importe. Je crois qu'ils appréciaient la démarche d'un jeune homme qui, comme un con, avait mis toute son énergie et le peu de son argent, pour réaliser le film qu'il devait faire.  J'étais fièrement con de moi. Le jeune Charb m'a balancé un truc du genre « tu cherches les emmerdes avec ton film »

Rire Tue - Charb

Ouais Charb... Mais le pire c'est quand les emmerdes nous trouvent.

Mes parents ont fait les choses bien. Six enfants. Trois garçons. Trois filles. Aujourd'hui que le patriarche n'est plus là une rupture s'opère clairement. Logique. Quand il n'y a plus de toit sur la maison principale, chacun s'en va construire sa petite cahute...  Du petit village familial il ressort : Trois cahutes de musulmans. Trois cahutes d'athées.

Mon frère ainé, avec qui nous partagions « l'humour Charlie » devint donc un « vrai » musulman. Je me souviens parfaitement d'une drôle de soirée en 1994... La veille de son départ définitif en Tunisie, où il vit toujours. Nous discutions de rien mais surtout de tout. La discussion a dérapé sur un édito de Philippe Val autour de la polémique des possibles versets coraniques imprimés sur une robe portée par le top model Claudia Schiffer... Passons ! Très vite la discussion s'est animée, car mon frère était atteint dans son honneur de musulman là où moi je tenais à défendre non seulement la liberté d'expression mais surtout ces quelques pages de journal que je tenais entre les mains et qui représentait cette belle insolence que nous avions toujours aimée et défendue. Un mot dépassant l'autre j'ai tenté de lui foutre mon poing sur la gueule... Avant d'être séparés par mon autre frère.

Comme j'aurais aimé que ce 7 janvier on vienne foutre son poing sur la gueule de Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Bernard Maris, Honoré, Elsa Cayat... Qu'ils puissent répondre surtout.

Une The Independant

Mais c'était une exécution collective orchestrée par deux lâches.

Le vestiaire de mon enfance ne ressemble plus à rien. Lorsque ce 2 septembre 1993 le toit s'est effondré avec la mort de mon père, il fallait continuer de vivre coûte que coûte. J'avais l'âge des possibles. Je me suis alors appuyé comme j'ai pu sur les murs solides de ce que le béton de mon enfance avait bâtit de meilleur. 

Prince & Muhammad Ali

Aujourd'hui ces plus beaux murs se sont écroulés. Je peux désormais dire, que non seulement le monde de mon père est mort mais qu'il est maintenant définitivement enterré.

Ma mère aime bien raconter que la porte de chez nous était « tout le temps ouverte ». En ce sens que mon père aimait aller vers l'autre,  recevoir et voir du monde. J'ai porté mon regard haut sur ce bonhomme ouvert qu'était mon père. Je le regardais avec ses amis ici en France, quel que soit leur confession (catholique, juif, musulman…), ou encore en Tunisie, en bon « bledar » avec sa famille... Jamais le même. Toujours égal à lui même. Mon père était multiple. Il n'aimait ni les clans, ni les étiquettes. Il aimait être libre.

Cigarette au cinéma - Papa

Je ne prétends pas être devenu comme lui. Mais cette liberté m'a inspiré. Peut-être n'aimerait-il pas ce que j'en ai fait. Il y a quelques temps, à la faveur d'un déménagement j'ai retrouvé une carte postale. Mon père m'avait écrit quelques mots alors que je vivais en Angleterre. Il me disait, me remerciant d'un courrier que je lui avais envoyé : « tu seras un grand poète mon fils » Pour l'immigré tunisien qu'il était, être un poète voulait peut-être rien dire de plus que « savoir faire des jolies phrases ».Ces mots, lus vingt ans plus tard, m'ont rendu heureux. Je les avais oubliés. Ecrire est devenu une grande partie de ma vie.  Après tout, sans le savoir, peut-être pensait-il à la définition la plus simple d'un poète : être un homme libre. 

The Kid (1921) - Charlie Chaplin

 

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24 avril 2017

Episode IX - Mon père avait raison

C'est la première chose que mon père aimait faire quand il venait en Tunisie. Allez voir sa mère au cimetière. Quelques fois J'allais avec lui.

J'avance au milieu des tombes basses, toutes identiques qui ne se distinguent que par l'usure. Ici aussi c'est un joyeux bordel. Il n'y a pas vraiment d'allées comme dans les cimetières français. On marche où l'on peut. Enfant, mon père m'attrapait vivement par le bras quand je marchais sur un mort.  

Cimetiere en Tunisie

Le cortège d'hommes arrive près de tombes anciennes avant un grand mur de briques qui se termine par des barbelés. Enfant, je me demandais comment mon père retrouvait son chemin dans ce labyrinthe. Et un jour j'ai vu ce mirador. Là, à quelques pas de la tombe de ma grand-mère, de l'autre côté du mur de brique, il y a un mirador avec un soldat, arme aux poings qui veille. Un trou a été fraichement creusé. Dans cette tombe il y a déjà mon oncle Hedi. En 1969 mon père a été très marqué par la mort jeune et brutale de son frère. Alors quand un an plus tard il a eu un enfant, il a voulu l'appeler Hedi. Mais c'était une fille. Ma sœur s'appelle donc Hedia ! En 1971 je suis né et mon père tient enfin sa revanche. Me voilà donc nouveau-né avec déjà la pression de devoir vivre plus vieux que mon oncle ! 

Countdown

Mon père est toujours dans son cercueil. Ce qui est plutôt rassurant.  Mais les hommes ici ne l'entendent pas de cette oreille. Dans la tradition musulmane on enterre un mort dans un linceul blanc à même la terre et on tourne son corps sur le côté en direction de la Mecque. Mais mon père est mort en France et son cercueil est scellé. Des hommes s'acharnent avec un pied de biche pour faire sauter les scellés !

Nosferatu (Friedrich W Murnau-1922)

Mon père est bousculé sans ménagement. J'assiste impuissant à ce spectacle. Au bout de quelques minutes d'entêtement, le cercueil, abîmé, mais toujours scellé, finit par descendre en terre, légèrement incliné sur le côté. Je me rends compte que je pleure uniquement lorsqu'un homme me frappe vigoureusement sur l'épaule pour me rappeler à l'ordre... Ici, les hommes ne pleurent pas !

Parks and Recreation (2009)

Dans la petite maison le calme est revenu. Maintenant chacun pleure dans son coin. Seul ou accompagné. La déesse est revenue me voir. Cette fois son sourire est plus doux. Plus franc. Ma lumière.

Un  an plus tôt. Sur le périphérique parisien, je suis en voiture avec mon père qui me raccompagne chez moi. Soudain, sorti de nulle part, il me raconte que la fille de son meilleur ami en Tunisie va étudier le droit. Je fais mine de m'intéresser à cette nouvelle. Mais je connais mon père, l'information importante arrive toujours l'air de rien après une banalité comme celle qu'il vient de lâcher. Il décoche alors : « Elle est devenue très jolie ! Beaucoup plus jolie que ta copine ! » Etrangement je n'ai rien trouvé à ajouter à cette sympathique remarque.

The Sopranos (1999)

Par cette nuit d'été, sous l'arbre de la maison de ma tante,  je dois bien avouer que l'insolente beauté de cette jolie tunisienne me hantait. Mon père avait raison. Mais il allait falloir rentrer chez moi. Je me sentais soulagé. Mon père était de retour chez lui. Définitivement. Quant à moi ? Ma maison n'avait plus de toit. 

Avant de rentrer en France, je vais dire au revoir à mon père. Suivre le mirador... Jusque la tombe de mon père. Je ne sais pas lire l'Arabe. Restent les chiffres : 02/09/93. Je suis très vite rejoins par mon oncle. Il joint ses mains pour une prière. Il  me demande de réciter la prière des morts dans ma tête. Je ne la connais pas. Alors qu'il commence la prière à voix haute, je fredonne dans ma tête du Charles Aznavour : « J'ai ouvert les yeux sur un meublé triste rue monsieur le prince au quartier latin... » 

Charles Aznavour chante Autobiographie - 1980

Je sais que mon père me sourit.

22 avril 2017

Episode VIII - L'amour et la mort

Enfant j'avais l'impression qu'en Tunisie il n'y avait pas de règle !  Nous montions dans la voiture de mon père, une "six places", à environ dix ou douze ! Chaque espace dans la voiture était occupé ! Ou alors on grimpait à l'arrière de l'Isuzu de mon oncle et on restait debout ou assis tout le long du trajet. Il y avait dans ce joyeux bordel tunisien, une façon de vivre, une insouciance, qui parle au cœur des enfants.

Dans l'Isuzu de mon oncle

Quatre hommes installent le cercueil de mon père à bord d'un véhicule utilitaire trop petit. Forcément le cercueil dépasse. Les portes restent entrouvertes. Où est passée mon insouciance aujourd'hui alors que j'espère juste que le cercueil de mon père ne tombe pas sur la route pendant le trajet ?

Dans un silence de mort, famille et anonymes sont regroupés devant la petite maison de ma tante dans un quartier populaire. Je me fraie un passage dans cette foule compacte. Des mains se tendent vers moi, pour me toucher, on essaye même de m'embrasser... J'ai l'impression d'être une rock star ! Mais soudain c'est comme si le son de la séquence revenait violement et la réalité aussi. Des cris, des pleurs, des lamentations. Je ne suis pas du tout une rock star. Juste le fils du défunt que l'on essaye de consoler d'une façon méditerranéenne très démonstrative. J'essaye de m'extirper de cette masse effrayante qui m'oppresse.

Night Of The Living Dead (George A Romero 1970)

Je cherche ma petite sœur. Je veux la protéger de cette folie. Je ne l'ai pas vue depuis son départ en vacances. Je lui ramène son père mort. Elle est là. Je la serre dans mes bras et enfin je peux pleurer avec elle.

Le cercueil est posé au milieu d'une cour, sous un magnifique arbre de jasmin en fleurs. Il y a une petite fenêtre qui permet de voir le visage de mon père. Autour du cercueil des femmes à genoux se lamentent. Une à une, des fleurs de jasmin tombent sur le cercueil. Un moment de grâce : « Dieu ? » Non, juste ma tante qui frappe avec force l'arbre en hurlant sa peine, faisant tomber des fleurs sur le cercueil. Dieu va m'apparaître sous la forme de la plus séduisante des femmes. Face à moi, s'avance en se détachant de la foule, une magnifique jeune femme. C'est la fille du meilleur ami de mon père. Elle me sourit tristement. J'ai envie de lui dire : « Tu marches sur des morts, beauté, dont tu te moques ».

Hymne à la beauté - Charles Baudelaire (Les fleurs du mal)

Soudain le cercueil se soulève. Des hommes l'emportent. Je pense que la jolie jeune femme sera ma lumière dans cet obscur moment, mais on m'explique que les femmes n'ont pas le droit d'aller à l'enterrement. Les pleurs et les cris de douleurs, qu'elles ne savent pas retenir pourraient empêcher l'âme de mon père de partir en paix. Dans les religions, on trouve toujours de jolies raisons pour poser des interdits aux femmes... Et rester entre hommes.

Veep (2012)

 

 

22 avril 2017

Episode VII - Platini et les hommes nus

A l'entrée de la morgue ma mère nous a prévenus : « Il faut laver votre père ». J'ai dit à mes frères que je ne pouvais pas faire cela. Et j'ai attendu dehors. Déjà enfant je détestais laver le dos de mon père ! Quand j'étais devant "Rémi sans famille" en train de pleurer - car c'était un dessin animé triste et franchement déprimant - il m'appelait depuis la salle de bain... Je faisais semblant de ne pas l'entendre. J'espérais qu'il finisse par abandonner. Mais ça n'arrivait jamais.

Rémi sans famille 

Dans la baignoire, mon père se redressait.  Il me donnait une « Kessa » (gant de crin en Tunisien) et je lui frottais le dos. Il insistait toujours pour que je  frotte plus fort. Ma main me semblait minuscule dans ce gant et sur le dos de géant de mon père. En Tunisie mon père m'emmenait au Hammam avec lui. Autant je fantasmais sur les femmes se lavant entre elles, autant cette promiscuité masculine me rebutait. Ce rejet de la familiarité masculine m'a poursuivi au foot, dans les vestiaires, où je ne prenais jamais de douches ! Encore aujourd'hui je déteste pisser à coté d'un autre homme !

Man 2 Man

Mais au Hammam j'avais mon père pour moi tout seul. Comme ce jour d'été 1984, le lendemain de la victoire de l'équipe de France sur l'Espagne à L'Euro. Allongé là, mon père me parle encore du match et du fameux coup de franc de Platini qui passe sous les bras de Castaneda. Ce jour là au Hammam, savourant une boisson sucrée loin de tous ces hommes nus, je n'imagine pas qu'en juillet 1998, sur un balcon d'un appartement bourgeois du centre de Paris je pleurerais en cachette parce que la France est championne du monde de foot, et que j'aimerais voir la joie unique de mon père à ce moment là.

France - Espagne 1984

Un Imam est sorti de la morgue pour m'indiquer que je pouvais désormais aller me recueillir auprès de mon père. J'entre dans un long couloir sombre et me faufile dans la première pièce que je trouve. Le corps de mon père est là, dans un linceul blanc. Je suis seul. Je ne sais pas où sont passés mes frères. Je regarde mes pieds et m'avance vers la table où repose le corps. Seul le visage est découvert. Je n'ose pas le regarder. Je reste dans cette pièce sinistre sans savoir quoi faire. Je tourne en rond jusqu'à ce qu'une femme d'un certain âge entre en pleurant, accompagnée de deux autres personnes. Je les regarde interloqué. Elle s'approche du visage de mon père et l'embrasse. Je suis de plus en plus mal à l'aise. Je prends mon courage à deux mains et me rapproche, l'air de rien, moi aussi, du visage. Ce n'est pas mon père !  Je quitte précipitamment la pièce et me retrouve de nouveau dans le couloir, perdu et confus.

Frankenstein Junior (Mel Brooks 1974)

« Monsieur S - Absent - Père décédé». Voilà ce que Pascale doit lire ce matin sur la feuille de présence et la répartition des vols par agent. Pourtant je ne suis pas loin d'elle. Dans une salle d'embarquement, je regarde monter le cercueil de mon père entre deux valises et un carton dans l'avion qui va le ramener chez lui.

Mark Rothko - In the Tower (1964)

Tout le long du voyage qui nous ramène en Tunisie j'imagine mon père... En dessous de moi. Dans le noir.

20 avril 2017

Episode VI - L'arabe du futur

Nous étions déjà six enfants, Dieu n'avait pas de lit à la maison. Enfant, deux choses me différenciaient de mes copains : Premièrement,  on avait retiré un bout de peau à ma quéquette - Et encore je n'avais pas eu le loisir de vérifier que celles de mes camarades étaient intactes ! Deuxièmement, je ne mangeais pas de porc – Mais ne mangeant pas à la cantine et mes potes ne mettant pas de porc dans leur Choco BN je ne le remarquais pas. Non franchement je ne me sentais pas différent de mes potes !

Moi - 1976

 Enfin, presque pas.

Chez mes parents je vois défiler, voisins et amis de quartiers qui viennent nous présenter leurs condoléances. Le temps est ralenti. Je dors peu ou quasiment pas. Tout me semble irréel. Ma mère me donne quelques consignes religieuses à respecter : Ne pas écouter de musique. Mettre un voile blanc devant mon téléviseur chez moi et ne pas l'allumer. Réciter des prières ou à défaut jouer des cassettes du Coran sur les plats que je mangerai...  Elle n'a pas besoin d'ajouter : Ne pas boire d'alcool pour faire passer la douleur et ne pas me consoler dans les bras d'une femme mais j'imagine que cela va de soi ! Je dois respecter ces règles pour les 40 jours à venir ! Du haut de mes vingt ans je ne me sens pas bravache de perturber le voyage dans l'au delà de mon père, mais 40 jours... Moi qui n'ait jamais tenu une journée de ramadan! 

James ‘Scorpion Dagger Kerr collage animations

Va falloir que je me tienne à carreau. Dieu allait avoir l'oeil sur moi.

Si la religion et moi n’avons jamais vraiment pactisé ce n'est pas entièrement de ma faute !  Enfant mon père achetait un énorme sapin pour Noël ! Je me rendais bien compte que ce n'était pas un acte anodin car tous nos petits copains arabes musulmans du quartier venaient l'admirer et prendre la pose devant pour la photo... j'ai vite compris qu'il n'y avait pas de sapin chez eux. Quelques mois plus tard on avait rangé les guirlandes au placard et je devais surveiller un mouton dans le coffre de la voiture de mon père afin de m'assurer que nos voisins ne le remarquent pas ! Pour le coup j'étais certain que mes copains français de souche n'avaient pas de mouton chez eux ! 

Un mouton pour Noël

L'enfant que j'étais, assis au bar-pmu en train de siroter son diabolo-menthe, pendant que mon père buvait son ballon de rouge en remplissant ses petites feuilles de tiercé essayait de décrypter cette schizophrénie permanente qui régnait chez lui. Mon père était musulman ça je l'avais compris... Mais un drôle de musulman ! Sans le savoir, probablement sans le vouloir, il était en train de m'apprendre, dans cette manière de vivre simplement sa religion, ce qu'était la liberté de choisir !

Il y a quelques années, je déjeune avec ma mère dans une brasserie dans le quartier de Châtelet. Elle porte un voile sur la tête depuis quelques années maintenant. Je commande une salade parisienne et un verre de vin. Lorsque ma salade arrive, avec ses grandes tranches de jambon crues qui recouvre le tout, je vois le regard triste de ma mère. Soudain je réalise que depuis toutes ces années c'est peut-être la première fois qu'elle me voit manger du porc devant elle. Elle l'a toujours su. Mais sûrement toujours refusé de le voir. Alors elle me demande d'une petit voix accablée : « Tu manges du porc ?! » Je vois dans son regard les portes de l'enfer qui s'ouvre sous les pieds de son fils. Je réponds simplement « ben oui ». Elle avale péniblement une bouchée de sa salade et ajoute : « C'est mieux que si tu fumes de la drogue ! » 

The Simpsons - Matt Groening

Evidement je n'ai pas dit à ma mère qu'il m'arrivait aussi de fumer de la drogue ! 

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20 avril 2017

Episode V - Adieu Rocky

Au concert j’ai croisé mon ex. On avait pris les places ensembles, avant de se séparer, il y a quelques mois. Une nuit j’ai oublié de rentrer. Au petit matin quand je suis arrivé dans ma rue pavée et calme du quinzième arrondissement, mes vêtements jonchaient le sol devant ma fenêtre du rez-de-chaussée. Quelques heures de larmes plus tard alors qu’elle prépare son sac sous le regard de sa mère venue calmer les esprits, elle se saisit d’une cassette vidéo et lui propose de la regarder. Une de mes œuvres récentes…Je l’avais filmé en train de se caresser. Sa mère n’a pas voulu voir la cassette. Elle est partie avec sa fille… Du coup moi je l’ai regardée. Ce n’était pas terrible. Le sexe c’est facile à vendre mais difficile à bien filmer.

Annie Hall (Woody Allen 1977)

Du retour du concert, dans le métro mon ex me dévisage. Je me demande si c’est un bon soir pour coucher avec elle ? Elle est facile à convaincre. Mais si mon père meurt et qu’on m’appelle pendant que… Non. Ne rien lui proposer. Elle trouve que j’ai mauvaise mine. Je lui réponds très simplement:«Mon père va mourir».                                                                    

Dans l’obscurité de mon appartement, je ne trouve pas le sommeil. De mon lit je fixe le téléphone. Toute mon attention est focalisée sur cet objet. Pourtant quand il sonne, je ne bouge pas. Mon regard se porte sur l’heure. Il est plus de 2H00 ce 2 septembre 1993.

Phantom Lady (Robert Siodmak) 1946)

Les couloirs de l’hôpital sont déserts. Je fais les cents pas devant une porte barrée d’un sens interdit. Un jeune infirmier arrive les mains dans les poches de sa blouse. Il me parle avec des mots bien choisis. Mais je ne l’entends pas. Ses lèvres bougent pourtant. Qu’essaye t-il de me dire ? Il s’arrête enfin de parler. Je reste silencieux quelques secondes avant de lui demander le plus naturellement du monde : « Et sinon comment va mon père ? » Il comprend qu’il va falloir être plus direct : « Votre père est mort monsieur ».

The Office (2005)

On pense tuer son père quand on a 15 ans mais on n’imagine pas qu’il va mourir de lui-même pour vos 20 ans.

J’ai 10 ans, un beau short éponge rouge et le t-shirt qui va avec ! Je suis en Tunisie et ce jour là, ma tante me prouve l’existence de Dieu de manière la plus directe qui soit.  Je m’étais pris d’affection pour un mouton que l’on devait égorger pour l’Aïd. Je l’avais appelé Rocky. Le jour venu, il était là, la gorge ouverte, le sang se répandait sous mes pieds et Rocky courait ! Ses pattes s’agitaient dans une dernière course folle. Ma tante m’avait alors glissé ces quelques mots qui réconforterait n’importe quel enfant… Croyant : « Ne sois pas triste. Ton mouton court vers le paradis ! Regarde !  Regarde le comme il court vers le paradis ! »  C’était donc cela cette course effrénée ? Ce n’était pas la mort avec sa gueule moche. Non. C’était l'exaltation de rejoindre le paradis des moutons !

Terry Gilliam - Flying Circus

Puis soudain Rocky cessa de courir pour de bon, la langue pendante, la gueule ouverte. Mes pieds baignaient dans son sang. Ma tante me passa une main affectueuse dans les cheveux et  ajouta : « Il est arrivé ! Regarde comme il est heureux ». 

Sur le visage définitivement éteint de mon père, je cherche l’expression de plénitude que j'étais censé voir sur Rocky alors qu’il était arrivé au paradis. Je voudrais bien croire que mon père court en ce moment vers le paradis...Mais je ne suis plus un enfant et je suis persuadé que Dieu se moque de moi ! 

La destruction - Charles Baudelaire (Les fleurs du mal)

18 avril 2017

Episode IV - Purple Pain

J’avais décidé à l’âge où l’on prend conscience de ces choses là de vivre sans dieu ni maitre. En tous cas c’est ainsi que je me l’imaginais du haut de ma jeunesse arrogante. Sans dieu ni maitre ? Vers l’âge de douze ans Prince est entré dans ma vie par la petite lucarne et une grande émission :  « Sex Machine ».

Générique Sex Machine

Il n’en est plus jamais ressorti. Je n’ai jamais cru en Dieu. Je croyais en Prince. Je ne suis pas certain que ce chanteur qui a consacré une partie de sa vie et de sa musique à Dieu aurait cautionné mon choix. Mais ce n’était pas un choix. Plutôt une évidence. Prince s’est imposé à moi. A l’heure où mes potes ne juraient que par Barry White ou Michael Jackson, Prince disait au gamin des cités que j’étais qu’il fallait assumer sa différence. Je pouvais être « Black », « White », « Straight », « Gay », « Nasty », « Sexy », « Holly »…  Mais il fallait assumer ses choix, se battre pour son art, et ne jamais se renier. 

Moi

Mon père était un cinéphile d’avant gardes ! Le genre qui va dénicher l’essentiel dans un film d’une heure trente. Le type capable de refaire le montage avec la télécommande.  Ainsi, une fois qu’il avait coupés les scènes de nues, les baisers torrides, les filles qui se déshabillent… On avait notre film… De quarante minutes ! Alors quand mon père sortait, je regardais des concerts de Prince, comme d’autres regardent des films X ! Car même s’il n’était pas bilingue, pour mon père, l’attitude, les postures et la liberté de Prince sur scène et dans certains clips étaient clairement trop « Sexuellement explicite » comme on avait inventé le terme pour l’une de ses chansons dans les années 80.

Prince Live Detroit (1986)

Ce 1er septembre 1993, je suis donc à Bercy sans l’excitation habituelle. Le public hurle son plaisir toujours intact de voir Prince. Je connais ce bonheur. Je le connaîtrais de nouveau… Jusqu’à ce petit matin parisien. Oh New Morning ! Mais ce soir je voudrais supplier Prince de ne pas chanter « Purple Rain »…Trop tard. Je pleure déjà. Dans un noir complet quelques flammes de briquet oscillent lentement. Les premières notes de « Purple Rain » se font entendre et la foule chavire : « This is my song Paris… ». Ce soir mon père va mourir. Ici, pendant cette chanson, je le sens.

Purple Rain (1985)

24 Avril 2016. Trois jours après la mort de Prince. Je suis en voiture avec ma mère. Elle sait que ces derniers jours ont été douloureux pour moi. Elle me demande quand aura lieu son enterrement. Je lui explique alors que Prince s’est fait incinérer la veille en présence de quelques proches. Au bout d’un court silence elle ose me demander : « ça veut dire quoi inci… truc là? » Je lui dis qu’on l’a brulé.  Elle ouvre de grands yeux et lâche « Ton chanteur il aura connu l’enfer avant d’aller en enfer !» 

Prince no no_zps5wjetifs

 

 

18 avril 2017

Episode III - Les hommes ne pleurent pas

Trois fois j’ai vu mon père pleurer.  

J’ai quatre ans. Je me cache derrière une porte. J’observe mon père de dos recevoir un télégramme de la part du facteur. Il s’isole dans notre salon. Je m’approche de la porte vitrée qu’il a pris soin de fermer. Il y a un petit rideau blanc que je pousse afin d’observer ce qui se trame de l’autre coté. Mon père, moustache fine et rouflaquettes, écoute une cassette audio de mauvaise qualité : une femme chante. Il pleure. Je ne savais pas que les papas pleuraient. Ma grand-mère vient de mourir en Tunisie. Mon père avait enregistré sa voix lors de son  passage en France quelques années auparavant.

La voix de ceux que l’on aime. Lorsqu’ils étaient enfants, à l’heure des images hautes définitions, je volais quelques fois sur un enregistreur numérique la simple voix de ma fille ou de mon fils. Ne jamais oublier la voix de ceux que l’on aime.

Ma grand-mère, ma mère et mon oncle

Mars 1991. J’ai dix-neuf ans. Je me suis brisé le fémur au ski. Depuis plusieurs jours je suis seul dans un hôpital de Grenoble. Je suis allongé sur un lit dans une chambre austère. Dans mon souvenir il y a une croix au dessus de ma tête et une bonne sœur m’a même proposé de me faire la lecture. Est-ce déjà les Enfers ? Non, juste un hôpital où l’on m’a transporté dans la nuit et où j’apprendrai quelques jours plus tard la mort de Serge Gainsbourg. Un jour la porte s’ouvre. Mon père a fait le voyage depuis Paris. On s’embrasse longuement. Je pleure. Il est affecté par mon visage creusé, amaigri, et bien sûr ma jambe blessée. Après quelques minutes, il se poste à la fenêtre, dos à moi. Je me souviens qu’il est resté longtemps à la fenêtre à me décrire les montagnes que je ne pouvais admirer, cloué sur mon lit. Soudain je comprends. C'est sa voix qui le trahi. Il me tourne le dos pour pleurer. C’est la deuxième fois. 

Crime et délits (Woody Allen 1989)

Aujourd’hui. Mon père est sous respiration artificielle. Il ne peut plus parler. J'aimerais pourtant l’entendre se vanter :  "C’est mon fils il est steward" ! Il a ouvert les yeux quand je me suis penché par dessus la machine pour l’embrasser. Il s’est mis à pleurer à chaudes larmes. Comme moi. C’est la dernière fois que je le vois pleurer. 

Mon père vient de subir une transplantation. On lui a mis le cœur d’un jeune homme qui vient de perdre la vie, permettant à mon père d’avoir une seconde chance, lui. Enfant, on m’avait offert dans un petit tube, l’appendice qu’on venait de me retirer. J’aimerais bien récupérer le cœur de mon père… Il y a quand même tout son amour pour nous dedans.

Un médecin vient me parler, ainsi qu’à ma mère et mes frères qui sont maintenant revenus. Il nous explique qu’il faut attendre au moins 48h avant de se prononcer. Pendant qu’il nous parle un autre infirmier est en train de calfeutrer la chambre de mon père. Il ne risque plus de s’échapper. Le médecin nous invite à rentrer chez nous. Il n’y a plus rien à faire à l’hôpital. Dans le métro je sors de ma poche une place de concert de Prince. Il est encore temps de m’y rendre.

Place de concert pour Prince

L'heure de la communion a sonné. 

16 avril 2017

Episode II - Le temps des roses

L'hôpital a appelé. L’état de santé de mon père s’aggrave. Ma mère, mes frères et sœurs sont tous en vacances. En attendant qu’ils reviennent, j’ai pris quelques jours de congé. Tant pis pour Pascale ! Je gravis péniblement une côte à vélo pour rejoindre l’hôpital qui se dresse devant moi.

Hôpital Saint Camille Bry Sur Marne

Quand je retrouve mon père, je lui parle de la côte à monter pour venir jusqu’ici, espérant lui prouver ainsi mon dévouement. Il se moque franchement de moi. « C’est rien cette côte ! Moi je faisais ça tous les jours pour aller bosser à l’usine près d’ici » Je reste sans voix. Je ne savais pas grand chose sur sa vie d’avant la maladie. Très jeune il a du arrêter de travailler pour ses problèmes cardiaques. Alors je ne l’imagine pas du tout sur un vélo allant travailler  à l’usine.

Une infirmière entre avec son matériel pour la prise de tension. Mon père la salue comme une vieille amie et lance son désormais fameux : "C'est mon fils, il est steward !" J’abandonne. Mon père tient à me montrer quelque chose. Je l’accompagne hors de la chambre. On emprunte un couloir de l’hôpital jusqu’à l’ascenseur.  Il marche péniblement, trainant son oxygène déambulatoire derrière lui. C’est étrange de voir le corps de mon père devenu si fragile, lui qui me paraissait invincible. Mon père admirait plus que n'importe quel autre boxeur Mohamed Ali. Enfant, il avait suffi d’une photo d’un combat de boxe de mon père pour qu’il devienne à mes yeux le Mohamed Ali tunisien qu’il n’a sûrement jamais été

Mon père - AliPourtant tous les pères devraient être des Mohamed Ali aux yeux de leurs fils 

Nous sortons de l’ascenseur  et on se retrouve dans une salle d’attente avec une grande baie vitrée. Au loin sous un grand ciel bleu on devine Paris. Mon père me parle des ballades qu’il aimait faire sur les quais parisiens, des bouquinistes chez qui il n’a probablement jamais acheté de livre et même de la fois où il croise les gardes du corps de François Mitterrand qui lui propose de serrer la main du président…  Il n'a pas voulu je crois.

Election présidentielle Française 1981, annonce résultat

Mon père s'éloigna en regardant cet homme qui un jour de mai 81 lui avait fait croire que ses enfants vivraient dans une France de tolérance, de justice, d'égalité...Ce soir de Mai mon père avait accroché deux roses en plastique sur le lampadaire horrible qui depuis des années orne notre salon. C'était un soir d'euphorie je crois, partagé par des milliers de français et d'immigrés qui comme lui ne pouvaient voir venir la désillusion et le reniement. Ils ne pouvaient encore moins imaginer "le pen et son f-Haine" s’asseoir tranquillement sur le crâne de la République... 

Mais aujourd'hui mon père voit venir sa fin à lui, laissant derrière lui deux roses en plastique toujours bien en place. Parce que le plastique résiste aux temps, alors que les espoirs eux... 

Vue de la salle d'attente à l'hôpital Saint CamilleLongtemps j’ai cru que c’était une image fabriquée par moi. Cette salle d’attente avec cette vue sur Paris. Il y a quelques mois, alors que je rejoignais ma mère dans ce même hôpital, je sors d’un ascenseur et là, je passe devant une baie vitrée. Mon corps est attiré par la vue. Bouleversé, je comprends que c’est ici même que mon père m’a dit qu’il allait mourir. L’hôpital a changé en 20 ans. Des nouvelles couleurs, des nouveaux couloirs, des nouveaux murs. Mais dans cette salle d’attente rien n’a bougé. Cinq chaises abîmées par le temps et l’espoir des gens qui se sont assis là. 

16 avril 2017

Episode I - L'attente - Entre ciel et terre

Fin août 1993.

Orly Sud

Je regarde décoller et atterrir les avions depuis une salle d’embarquement de l’aéroport d’Orly. L’agitation des passagers qui se bousculent pour être les premiers à bord de l’avion ne trouble nullement ma solitude. On m’a appelé hier de Tunisie. Mon père a eu une nouvelle alerte cardiaque. Il est au ciel… Entre Tunis et Paris, à bord d’un avion d’Europ Assistance. Calmement, je me retourne, m’avance vers un guichet, prends le téléphone et annonce l’embarquement imminent. La cohue se rapproche de moi.

Je suis agent d’escale aux Aéroports de Paris.

Le soir même, je me rends à l’hôpital Saint Camille en région parisienne où mon père a été admis. J’entre dans sa chambre et celui-ci m’accueille fièrement devant l’infirmière par un tonitruant : « C’est mon fils il est steward ! ». Mal à l’aise j’essaye d’expliquer à la jeune femme que je ne suis pas vraiment steward, comme si cela avait de l’importance en ce moment précis. La jeune femme me sourit et sort. Je défais la cravate de mon costume de travail sous le regard étrangement admiratif de mon père. 

J’ai vu une pub pour des costumes bas de gamme sur le quai d’un métro l’autre jour qui disait « Le costume qui travaille pour vous… » Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais mon père devait avoir pensé ça avant ces types ! Qu’importe l’emploi, le jour où il a fallu que je mette un costume pour aller travailler, mon père était fier de moi. Je crois que cela symbolisait pour lui une forme de réussite sociale. Tous les jours, pendant vingt ans, alors qu’il ne travaillait plus, mon père enfilait le « costume-beau » du salarié qui part travailler tous les matins !

Mon père de retour des courses

Alors que je m’inquiète de son état de santé, mon père, en ancien boxeur, esquive. Pourtant, c’est la première fois que je sens poindre une inquiétude qu’il n’arrive pas complétement à dissimuler.

De retour dans mon appartement parisien du quinzième arrondissement, j’appelle ma mère restée en Tunisie pour lui dire de ne pas s’inquiéter. Elle avait pourtant toutes les raisons de s’inquiéter. 

Ce soir j’ai rendez-vous avec une collègue, Pascale, à Montparnasse. Je n’habite pas très loin. Je me rends à mon rendez-vous à pied d’un air léger. Un livre dans une main, je m’installe en terrasse. Je suis à l’heure mais elle n’est pas encore là. A cette époque il n’y a pas de portable, encore moins de Smartphone pour se donner une contenance. On se retrouve ainsi seul à une terrasse de café et on ne peut pas faire semblant  d'être occupé à envoyer un texto, ou passer un coup de fil. Alors on lit.

Roland Barthes - Fragments d'un discours amoureux (1977)A l’époque l'attente est un délire. Ou pour le dire plus clairement : On a vite l’air d’un con assis tout seul. Ou d’un pauvre mec qui s’est fait poser un lapin. Pascale arrive et met fin à mon supplice. C’est une jolie blonde aux yeux clairs et au sourire craquant. Elle s’excuse du retard. Je prétends que je viens juste d’arriver. Je me sens même obligé d’ajouter que j’habite tout près. Elle me répond sans hésiter qu’on aurait dû se retrouver chez moi. Je me décompose. Car voilà, moi j'ai  hésité justement à l’inviter directement chez moi. J’hésite toujours à être direct avec les femmes. Je gaspille une énergie folle à les séduire.

Nous nous sommes quittés tard. Je n’ai encore pas osé l’inviter. Elle m’appelle pour me dire qu’elle est bien arrivée... Une excuse pour prolonger ce moment qui n’aurait pas du s’arrêter là. Nous parlons jusque tard dans la nuit. Nos voix se font douces, sensuelles. J’ai très envie d’elle.

Alexander O'Neal - If u were here tonight (1986)

Demain peut-être…

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Dieu Se Moque De Moi
  • Au plus loin que je remonte, je suis convaincu de n’avoir jamais cru en Dieu. Ce n’est pas un problème en soi. Plutôt un orgueil dont je me targue. Ces derniers temps, une question me hante cependant : Quand est-ce que Dieu a cessé de croire en moi ?
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